PETITE HISTOIRE DES ENSEIGNES DE PARIS

Un nom, une adresse, rien de plus normal aujourd’hui, mais cela ne fait que 200 ans que les français bénéficient d’un système simple et complet de repérage des immeubles. Autrefois, pour situer un bâtiment dans Paris, on utilisait l'enseigne fixée sur le commerce, ou bien, si l'édifice n’en possédait pas, on le situait par rapport à une maison connue et informait les visiteurs dans les termes suivants : « rüe de la Barillerie, la troisième maison après l’hostellerie du petit Cerf ».




Enseigne de l'apothicaire "Au Mortier d'Argent",
33, rue Saint-Denis, Paris Ier.
XVIIIᵉ siècle.
Vente Lucien Paris, Collection Debuisson, le 18 mars 2019.

Les premières enseignes apparaissent à Paris au XIVᵉ siècle et se généralisent au cours des siècles suivants. 
En 1577, Henri III ordonne aux aubergistes d’en placer une « aux lieux les plus apparents de leurs maisons, à cette fin que personne n’en prétende cause d’ignorance, même les illettrés". Elles pouvaient être gravées dans la pierre ou suspendues à une potence, peintes ou sculptées. Leur sujet variait à l’infini, souvent en rapport avec le nom du propriétaire ou son commerce. Leur usage était double, localiser une maison et indiquer le type de commerce à une population majoritairement illettrée. Botte pour un bottier, chapeau pour un chapelier, gant pour un gantier, étaient des objets simples à représenter.




Potence et enseigne du cabaret "Le Mouton à Cinq Pattes".
Époque Louis XV.
Vente Lucien Paris, Collection Debuisson, le 18 mars 2019.


Les cabaretiers faisait preuve de davantage d’imagination et attiraient le client par des enseignes historiques ou amusantes, à rébus ou calembours. Ainsi « Au Puissant vin » est figuré par un puits dont on tire l’eau « au puits sans vin », ou « A l’assurance » par un A sur une Anse. La plus célèbre était « Au Lion d’or », enseigne très fréquente sur les routes de France jusqu’à la création des autoroutes. C’était celle d’une auberge pour voyageurs qui comprenaient immédiatement « Au lit on dort » et identifiaient alors l’auberge du lieu, sans risque d'erreur. L'enseigne « Au Signe de la Croix » prend la forme d'un cygne et d'une croix.




Enseignes de bottier, chapelier et gantier. Paris, XIXᵉ siècle.
Vente Lucien Paris, Collection Debuisson, le 18 mars 2019.


Depuis la Grèce antique, l’enseigne des marchands de vin la plus répandue figurait une pomme de pin. On assurait l'étanchéité des barriques grâce à la résine de pin. Les cabaretiers prirent logiquement la même enseigne. Un cabaret " À la pomme de pin" se trouvait dans l’île de la Cité au XVème siècle. Le poète François Villon, puis Molière et La Fontaine en furent des clients célèbres.

En 1669, Louis XIV publia une ordonnance royale visant à réprimer les abus d'enseignes d’une grandeur excessive ou avançant jusqu'au milieu de la rue. Des chutes d’enseignes causaient en effet de nombreux accidents.

En 1728, Louis XV fit placer, à chaque intersection, des plaques de pierre gravée portant les noms des rues. De nombreux noms d'artères rappelèrent les enseignes qui s'y trouvaient.




Plaque nominative de la rue des Trois Visages, IIIᵉ quartier. Époque Louis XV.
Inspirée d'une enseigne représentant trois têtes sculptées.
Vente Lucien Paris, Collection Debuisson, 18 mars 2019.

En 1761, M. de Sartines, son lieutenant de police, ordonna à toute personne utilisant une enseigne de la faire appliquer sous forme de tableau contre les murs des boutiques ou maisons.




Enseigne Indulgence Plénière, 1786.
Vente Lucien Paris, Collection Roxane Debuisson, 19 mars 2019.


En 1805, Napoléon 1er numérota les rues de Paris, d’une façon simple et complète.

Les enseignes, jadis si importantes dans l'appellation de nombreuses rues, perdirent alors leur usage de localisation des maisons, mais continuèrent de renseigner les habitants sur le contenu des boutiques.

Au début du XIXᵉ siècle, on pouvait voir dans Paris, plus de mille enseignes.

Il subsistait moins de 200 enseignes anciennes au début du XXe siècle.

À partir du XIXᵉ siècle, un mouvement s’engagea pour défendre ce patrimoine du commerce parisien. Balzac publia, en 1826, un « Petit Dictionnaire critique et anecdotique des Enseignes de Paris par un batteur de Pavé », avec la mention « A bon vin point d’enseigne ». Il critique, souvent durement, les enseignes modernes peintes qu’il classe par ordre alphabétique. Le proverbe cité est étrange, car les cabarets ont laissé le nom de leurs enseignes dans l’histoire des rues de Paris (rue des Canettes, rue du Renard, rue du Grand Cerf….), mais aussi dans celle de la littérature. 

En 1842, dans « Le Rhin », recueil de lettres fictives, Victor Hugo écrit :
« ….Où il n’y a pas d’églises, je regarde les enseignes. Pour qui sait visiter une ville, les enseignes de boutiques ont un grand sens. Indépendamment des professions dominantes et des industries locales qui s’y révèlent tout d’abord, les locutions spéciales y abondent, et les noms de la bourgeoisie - presqu’aussi importantes à étudier que les noms de la noblesse - y apparaissent dans leur forme la plus naïve et sous leur aspect le mieux éclairé. »



Victor Hugo a donc la certitude qu’on peut résumer, par les enseignes, les grands aspects d’un pays : la langue, la religion, l’histoire. Il remportera son combat pour sauver la cathédrale Notre Dame de Paris, mais échouera à sauver beaucoup des vieilles enseignes de Paris, qui vont disparaître au fur et à mesure des transformations de la Ville. Certaines seront tout de même sauvées au XIXe siècle et déposées au musée Carnavalet. 





Paire d'enseignes du marchand d'escargots "Lazare Successeur", 13, rue de la Cossonnerie, Paris, Ier arrondissement.
Époque Second Empire.
Vente Lucien Paris, 19 mars 2019.